vendredi 26 octobre 2001

Stanley Kubrick - Coffret (2001)

Coffret Stanley Kubrick (2001) : Lolita (1962) ** + 2001: L'Odysée de l'Espace (2001: A Space Odyssey - 1968) ***** + Orange Mécanique (A Clockwork Orange - 1971) ***** + Barry Lyndon (1975) **** + Shining (The Shining - 1980) **** + Full Metal Jacket (1987) **** + Eyes Wide Shut (1999) ** + Stanley Kubrick, A Life in Picture (2001)
8 DVD


Lolita : Un écrivain quarantenaire tombe amoureux d'une fille de 14 ans.

Tirée du roman de Vladimir Nabokov, cette histoire qui choqua les ligues catholiques est filmée de manière moins provocante par Kubrick. Même si on retient surtout le thème de cette adolescente séduisant les hommes -inconsciemment ou non ? c'est une des questions du film- on assiste surtout à la descente aux enfers d'un type paumé. L'histoire est peu conventionnelle mais le traitement reste trop classique selon moi. Sur un plan formel on ne sent que très rarement cette touche unique qui illumine les films suivants de Kubrick. Reste que sur le fond, le choix d'équilibrer l'histoire entre le point de vue de l'homme et celui de la "presque-femme" déplace les enjeux par rapport au roman initial (où Lolita était plus jeune, faisant de Humbert un coupable difficilement pardonnable). Dans ses années 60 durant lesquelles les mœurs se libèrent, Kubrick offre, comme souvent, un commentaire en avance sur son temps sur la société occidentale.

 

2001, L'Odyssée de l'Espace : A l'aube de l'humanité, des homo sapiens découvrent un mystérieux monolithe noir.

Toutes les grandes questions existentielles de l'humanité sont posées avec une acuité époustouflante. Avec un quart de siècle d'avance, Kubrick retient l'essentiel des questions posées dans le livre dont est tiré le film : le destin de l'Homme nomade, l'évolution de l'intelligence et du savoir, la finalité de la science. Il y apporte un brio technique hors du commun pour l'époque, on est en 1968 ! Et en profite aussi pour montrer un des "cuts" les plus célèbres de l'histoire du cinéma en résumant des millénaires d'évolution en deux plans brefs consécutifs (deux outils symboles de la maitrise Humaine : l'os jeté en l'air passe immédiatement en satellite dans l'espace). Les auteurs nous donnent aussi une vision assez correcte de notre futur : exploration spatiale, ordinateurs portables, super-IA avec laquelle on interagi par la voix, nourriture lyophilisée, etc.
L'Humanité est guidée par sa soif de la découverte, un instinct d'exploration qui fait que notre espèce parvient à la domination de son monde en quelques dizaines de milliers d'années. Ce n'est qu'après avoir vaincu HAL 9000, le monolithique cerveau informatique symbole de la connaissance ultime (comme celui entrevu en début de film), que l'Homme accède à une renaissance idéalisée. Le rythme est lent, contemplatif, avec un final étiré qui laisse assurément perplexe. Une traversée hallucinante, plus abstraite que physique, une plongée au cœur du fameux monolithe comme si les spectateurs se trouvaient aspirés par l'écran de cinéma, ce grand rectangle noir mystérieux. Le temps et l'espace se diluent, l'astronaute parvient au bout du périple et on le place (Qui exactement ? Dieu ? des Aliens ? le Réalisateur ?) dans un environnement familier pour le préparer à l'étape suivante. Mais pour quelle destination ? Un retour sur Terre sous la forme d'une super-entité fœtale ? Waow, vous reprendrez bien un peu de moquette à fumer ? ;-)

 

Orange Mécanique : Dans un futur indéterminé, le jeune Alex et son gang sont des petits malfrats adeptes d'ultra violence.

Contre-pied total du film précédent, Orange Mécanique décrit un futur obscur et sauvage pour l'humanité. Une nouvelle fois on est bien obligé de constater que Kubrick a une longueur d'avance sur les évènements : cités délabrées, violence des gangs, politique-spectacle, éclatement des valeurs familiales. La force et la frénésie des scènes chocs alternent avec les trouvailles visuelles du cinéaste, on se souviendra longtemps de la séquence de l'attaque de la maison de campagne sur "Singing in the rain" ou encore du traitement douloureux d'Alex dans la prison-modèle.
Le monde est hyper-baroque, musiques classiques revisitées façon synthétiseurs, costumes et décors kitchs, symboles de la fin d'une civilisation (sans la possibilité de rédemption comme celle de 2001 Space Odyssey). En même temps le film reste extrêmement actuel encore aujourd'hui, langage réinventé (comme avec chaque nouvelle génération), barres d'immeubles à l'abandon, jeunes désœuvrés et parents dépassés, tags obscènes sur des peintures du passé, la déliquescence des esprits se concrétise visuellement. Les solutions politiques sont dangereusement inefficaces et la morale est noire, sans espoir, avec des personnages poussés jusqu'à la caricature pour renforcer l'aspect "fable" du récit. Absurdes jusqu'à en devenir comiques, comme ce petit chefaillon de prison étriqué ou cet écrivain grimaçant à l'excès, tellement cérébral et "hors-sol" qu'il peine à exprimer la violence de ses émotions. La conclusion ne laisse aucun doute sur la suite tragique des évènements. Pas franchement réjouissant, mais le constat de 1971 est plus que jamais évident 30 ans plus tard.

 

Barry Lyndon : Au 18e siècle, le jeune irlandais Barry Redmond rêve de hauts faits. Lorsque sa cousine bien aimée se fiance avec un officier Anglais, Barry, dépité, quitte son village avec 20 sous en poche.

Plus qu'un film de genre (la reconstitution historique), l'histoire met en scène le destin sombre d'un opportuniste. Bien que transposée dans un univers reconstitué méticuleusement, ambiancé de la beauté irréelle des séquences éclairées à la bougie, cette fable pourrait autant être contemporaine. Comme pour "2001" Kubrick met en place très lentement ses scènes, plongeant parfois le spectateur dans une torpeur identique à celle de certains personnages du film. C'était le tempo de l'époque, un rythme que le réalisateur a bien pris soin de reproduire afin de montrer l'état d'esprit de la noblesse nonchalante évoluant comme des personnages d’œuvres picturales, engoncés dans leurs "rôles" imposés par la société.
Si on se laisse happer par la magnificence des plans, on suit la lente ascension d'un irlandais arriviste, qui n'a d'autre but que de gagner sa place dans un milieu qu'il méprise autant qu'il désire, au prix des pires compromissions. En définitive, les Lyndon représentent le crépuscule d'un style de vie aristocratique qui se verra bientôt remplacé par un autre archétype, la bourgeoisie et son obsession de la valeur Travail. Lady Lyndon, magnifiquement incarnée par Marisa Berenson, figée dans les conventions et sa neurasthénie sans fin, n'a aucune perspective dans cette époque. Son parvenu de mari ne cesse de se heurter à de nouveaux obstacles dès qu'il croit avoir atteint son but. Son dernier duel, un défi contre le premier fils de sa femme, résume intensément le message du film, une histoire finalement très actuelle sur l'impossibilité de l'ascension sociale.

 

Shining : L'écrivain Jack Torrance part, avec femme et enfant, garder un hôtel qui ferme durant la saison d'hiver. Il espère pouvoir profiter de la tranquillité pour écrire un roman.

Le film d'épouvante vu par Kubrick, toujours en adaptant un roman (cette fois-ci c'est S. King qui passe à la moulinette). Plutôt que de sacrifier à l'accumulation de passages gores ou horrifiques (et, disons-le, parfois ridicules du roman), Mister K raconte la longue perte de contrôle de Jack (Nicholson / Torrance) et l'émergence des pouvoirs de son jeune garçon. L'entreprise est inclassable : histoire de fantômes ? de folie ? parabole sur la difficulté de créer ? Chacun verra une interprétation selon le point de vue du protagoniste. Le petit Danny est-il victime de maltraitance de la part de son père alcoolique ? La mère, Wendy, dont le rôle est réduit dans la version Ciné par rapport au roman, est globalement impuissante et joue les "Scream Queen" comme toutes les femmes victimes des films de Slasher. Elle est la plus vulnérable de la famille car elle représente la "normalité" pour les spectateurs, finalement elle est la seule pourvue de réactions humaines. 
On retient surtout le jeu halluciné de Nicholson, qui est la principale attraction du film. Qu'il déambule dans les immenses salles vides de l'hôtel ou qu'il monologue face aux esprits, on savoure chaque moment de bravoure. La patte du cinéaste se retrouve dans les plans mémorables, la poursuite du garçonnet conduisant son tricycle dans les couloirs de l'hôtel, Jack armé de sa hache poursuivant sa femme, les "visions" du Shining où des hectolitres de sang déferlent. Un film qui fonctionne par de soudains flashs terrifiants et une ambiance glauque anxiogène qui, comme d'hab avec Kubrick, ouvre la possibilité de moult thématiques sous-jacentes. 

 

Full Metal Jacket : Le sergent Hartman entraîne durement de jeunes soldats américains pour les préparer à partir au Vietnam.

La stupidité de la guerre est illustrée en 2 parties distinctes. Dans la première on voit un sergent instructeur martyriser un pauvre engagé inadapté, elle vaut surtout par l'interprétation criante de vérité d'Hartman (vrai instructeur dans la vie) et la lente descente aux enfers de la recrue "Baleine", humilié et broyé avant même de partir au combat. Cette longue introduction se termine inévitablement par un règlement de compte sanglant, l'innocence perdue de la victime symbolisant celle de tout un peuple, le dilemme des USA qui se pensait invincible dans cette guerre du Vietnam mais a sacrifié sa jeunesse et contesté ses "héros".
Vient ensuite une plongée dans le quotidien des soldats sur le terrain, quelques mois plus tard. Loin des clichés façon Hollywood sur les faits héroïques des braves 'ricains et avec encore une fois 20 ans d'avance (voir l'Irak d'aujourd'hui), Kubrick appuie là où ça fait mal : des types cyniques qui se prennent pour des cow-boys, jouent avec les cadavres et vont aux putes. La confrontation comique du sergent "Guignol" face au Général devant le charnier est le meilleur exemple. Le "Born to kill" et son symbole de paix se confronte à un état-major qui n'est pas là pour philosopher ! Malgré tout, le final face au sniper invisible montre ces soldats sous leur meilleur jour dans une guerre perdue d'avance. Édifiant.


 
Eyes Wide Shut : Le Docteur Bill Harford est perturbé lorsque sa femme lui révèle avoir un fantasme, elle rêve de faire l'amour avec un inconnu.

Le grand retour du maître après 12 ans de silence cinématographique avait de quoi faire saliver : le couple Cruise-Kidman dans une histoire salace ! Malgré quelques scènes grandiloquentes (l'orgie théâtrale dans le château, évidemment) et une touche esthétique unique sur les plans visuel et sonore, on reste perplexe sur le but ultime de cette démonstration parfois laborieuse. Connaissant le loustic, on se doute bien qu'une multitude de lectures sont possibles et que cette histoire est une manière pour l'auteur de commenter l'époque, ou de disséquer nos plus profondes pulsions sous nos dehors civilisés. En cette fin de millénaire, le couple, la fidélité, la jalousie sont-ils des schémas de pensée dépassés ? Cette vision de la Femme complètement obsolète, en objet sexuel, qu'elle soit prostituée des rues ou de cette secte pour riches partouzeurs, est-ce un cliché servant un propos plus global ? 
Le périple du Docteur Harford dans un New-York prenant des allures de rêve éveillé, avec ses personnages ayant chacun une fonction particulière dans le récit, est mis en parallèle avec les tribulations (réelles ou imaginées ?) de sa femme Alice. Mais les expériences du mari auront de fâcheuses conséquences, un sacrifice (volontaire ?) pour sauver notre homme imprudent de son incursion dans un monde lui étant interdit, l'orgie extra-conjugale. Amour et sexe, une obsession humaine qui dure depuis la nuit des temps, Kubrick se garde bien de donner un avis définitif sur la question, mais il s'autorise un commentaire avisé, par l'intermédiaire d'Alice dans la dernière séquence du film : "The important thing is we're awake now... There's something we need to do as soon as possible: Fuck!"

dimanche 14 octobre 2001

Controversy (1981)

Dans notre série "Chroniquons un album de Prince 20 ans après sa sortie", voici venu le temps de...


Controversy (1981)

Controversy
Sexuality
Do me, Baby
Private Joy
Ronnie, Talk to Russia
Let's Work
Annie Christian
Jack U Off



Face B.
Dans cette suite directe de "Dirty Mind" Prince continue de creuser son sillon libertin, tout en politisant timidement son propos.
Coté cul il persiste dans la veine romantico-perverse avec l'un de ses slow les plus torrides, "Do me Baby", où on l'entend gémir à s'en dévisser la glotte devant l'élue de son cœur. Mieux, il dédie une chanson entière à popol, "Private Joy", dans laquelle il rend hommage à son "petit ange", son "jouet personnel", son "orgasmatron". Le ton primesautier du titre ferait presque oublier son contenu graveleux.
Et pour finir en apothéose érotique, "Jack U Off" est un hymne joyeux qui dresse une liste de tous les lieux où Prince pourra masturber madame : au cinoche, au resto, dans la bagnole de maman, ce garçon serviable dispose d'un doigté expert ! 

Aux cotés de ses titres qui confirment ce qu'on avait appris avec l'album précédent, on déguste le single "Controversy", électro-Funk ultra efficace qui devient la carte de visite du personnage ("Am I black or white ? Am I straight or gay ?"). Il se place au coté de "Let's Work" comme emblème du style à présent bien défini de l'artiste, un croisement unique de toutes ses influences Rock, Funk et même Pop, absorbée par le jeune Nelson dans son enfance. Et même si les textes commencent à tourner en rond ("I'd love to turn you on, I'd work you all night long", il radote l'ami Maniaco), les compositions, elles, gagnent encore en savoir-faire. 

L'autre titre notable est "Sexuality", qui contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser n'est pas une nouvelle supplique à la débauche mais un surprenant appel à la révolution ! Et oui, Prince commence à lever les yeux de son nombril et de ce qu'il y a juste en dessous. Le message reste touchant de naïveté, oublions nos différences en nous mettant à poil, mais c'est sa première incursion dans le réel. 
Il lorgne du coté de la new-wave avec l'autre titre "sérieux" de l'album, "Annie Christian", dans lequel il aborde plusieurs sujets d'actualité très dramatiques de l'époque : le meurtre de John Lennon, un Serial Killer ayant tué plus de vingt enfants et ados noirs à Atlanta et une affaire de corruption d'élus américains (l'affaire de l'ABSCAM). Dans une ambiance glaciale de sons synthétiques, Prince y dépeint une société ultra violente et raciste sous un vernis religieux.
Cette chanson est le contre-pied parfait de "Ronnie talk to Russia", nettement moins convaincante musicalement parlant, qui répète en boucle un message d'une importance capitale : que le Président des USA cause à celui de l'URSS avant que ça pète ! Waow, ça c'est de l'analyse politique ! 

Conclusion d'une trilogie commencée avec les albums "Prince" et "Dirty Mind", "Controversy" est aussi la dernière production qui "sonne" 70's (en 1981, il était temps !). Prince y cultive son image de jeune obsédé mais se rhabille sur la pochette, ajoutant une dimension plus réfléchie dans les thèmes abordés, histoire d'être pris au sérieux. Et surtout il muscle encore ses compositions, acquiert une maîtrise qui lui permet d'imposer définitivement son style. Bref, il est prêt pour la gloire.