jeudi 23 juin 2022

Matrix Resurrections

L'élu unique est plusieurs.
 
(2021 - The Matrix Resurrections - Réalisé par L. Wachowski) ***
En explorant dans l'ancienne Matrice la fameuse séquence où Trinity affronte des agents dans un hôtel, la jeune Bugs découvre un moyen de réveiller Neo pour le sortir de sa prison virtuelle. Ce dernier est en effet amnésique, vivant sa vie sous son identité de Thomas Anderson, programmeur vedette d'une grande trilogie de jeux vidéo appelée... Matrix !

Les lois du commerce étant ce qu'elles sont, ce n'était qu'une question de temps pour qu'un remoot (remake/reboot) de Matrix surgisse. Lana Wachowski et la Star Keanu Reeves sont parvenus à repousser l'échéance le plus loin possible, mais un nouvel épisode était... inévitable (That's the sound of inevitability, comme disait l'agent Smith), il fallait ressusciter les morts pour régurgiter la même rengaine.
Que faire alors, lorsqu'on a déjà tout dit dans sa trilogie mais qu'on ne veut pas l'abandonner ? Œuvre "Meta" par excellence, voilà donc l'occasion de faire un commentaire de ce qui s'est passé depuis Matrix Revolution. Et au passage, de toute l'industrie des blockbusters Etats-uniens contrôlés par Disney depuis 10 ans, planqué derrière une histoire qui dédouble l'élu en deux entités féminin/masculin. 
L'auteure abandonne malheureusement ses ambitions en terme de mise en scène. On ne retrouve pas les combats chorégraphiés étourdissants d'il y a 20 ans, le "bullet time" ayant été plagié jusqu'à la nausée. Notre héros Néo est bien fatigué (son reflet dans le miroir montre un vieux type chauve), une manière de transgresser la figure du mâle cynique musculeux qui ne doute jamais. Il traverse le film en état d'hébétude permanente, son rôle consistant à comprendre qu'il n'est rien sans Trinity et d'aller la secourir dans le monde "réel" afin qu'elle accomplisse sa destinée (exactement l'inverse de la trilogie). Bref, on sent bien que cette revisite n'est qu'un prétexte.
Le scénario est une mise en abyme torturée : Néo est retourné a son état initial dans le monde virtuel, il est Thomas Anderson et s'occupe d'un jeu vidéo à succès nommé Matrix, produit par Warner Bros. On se délecte de quelques séquences de réunions "brainstorming" bien cyniques où les commerciaux de Warner préparent l'épisode IV de leur franchise (ce qui doit correspondre parfaitement à ce qu'à dû endurer Lana Wachowski pour ce film). On s'amuse aussi à repérer les évolutions des figures connues de la saga : Morpheus, l'Agent Smith, l'Architecte, Niobe, le Mérovingien, Sati... Tous sont en mode auto-référence, dans des versions parodiques plus ou moins réussies qui ne sont là que pour délivrer un nouveau message. Tous les tropismes d'un produit cinématographique de consommation de masse moderne sont moqués : personnages unidimensionnels et asexués, affrontements manichéens, prédominance des images de synthèse, intrigue faussement alambiquée. 
Et au service de quoi ? Le fil ténu sur lequel marche les scénaristes les oblige a chercher constamment un équilibre qui ne satisfait pas grand monde au final. Osciller entre les messages méta-philosophiques, les commentaires sur l’œuvre dans son époque et les money-shots grand spectacle, ça provoque quelques satisfactions pour le spectateur réceptif mais confirme un sentiment de superficialité. Ce qui, comme je le disais en intro, est sans doute ce que voulait raconter ce Matrix Resurrections. 22 années ont passé depuis l'épisode fondateur, l'heure n'est plus à la critique du "système" et au choix entre réalité et illusion : les pilules rouges ou bleues ont depuis été assimilées politiquement. Le discours du film se déplace donc vers l'importance de faire sens pour retrouver ce qui compte au final, la vérité.