L'élu unique est plusieurs. |
(2021 - The Matrix Resurrections - Réalisé
par L. Wachowski) ***
En explorant dans l'ancienne Matrice la fameuse séquence où Trinity affronte des agents dans un hôtel, la jeune Bugs découvre un moyen de réveiller Neo pour le sortir de sa prison virtuelle. Ce dernier est en effet amnésique, vivant sa vie sous son identité de Thomas Anderson, programmeur vedette d'une grande trilogie de jeux vidéo appelée... Matrix !
Les lois du commerce étant ce qu'elles sont, ce n'était qu'une question de temps pour qu'un remoot (remake/reboot) de Matrix surgisse. Lana Wachowski et la Star Keanu Reeves sont parvenus à repousser l'échéance le plus loin possible, mais un nouvel épisode était... inévitable (That's the sound of inevitability, comme disait l'agent Smith), il fallait ressusciter les morts pour régurgiter la même rengaine. Que faire alors, lorsqu'on a déjà tout dit dans sa trilogie mais qu'on ne veut pas l'abandonner ? Œuvre "Meta" par excellence, voilà donc l'occasion de faire un commentaire sur ce qui s'est passé depuis Matrix Revolution dans l'industrie des blockbusters États-uniens (contrôlés par Marvel/Disney depuis 15 ans).
L'auteure abandonne malheureusement ses ambitions en terme de mise en scène. Planqués derrière une histoire qui dédouble l'élu en deux entités féminin/masculin, on ne retrouve pas les combats chorégraphiés étourdissants d'il y a 20 ans, le "bullet time" ayant été plagié jusqu'à la nausée. Notre Néo est bien fatigué, son reflet dans le miroir montre un vieux type chauve, une manière de transgresser la figure Disneyienne de Superhéros synthétiques et asexués. Il traverse le film en état d'hébétude permanente, son rôle consistant à comprendre qu'il n'est rien sans Trinity et d'aller la secourir dans le monde "réel" afin qu'elle accomplisse sa destinée (exactement l'inverse de la trilogie). Bref, on sent bien que cette revisite n'est qu'un prétexte.
Le scénario est une mise en abyme torturée : Néo est retourné a son état initial dans le monde virtuel, il est Thomas Anderson et avale une pilule bleue chaque matin ! On se délecte de quelques séquences de réunions "brainstorming" bien cyniques où les commerciaux de Warner Bros préparent l'épisode IV de leur franchise (ce qui doit correspondre parfaitement à ce qu'à dû endurer Miss Wachowski pour ce film). Trinity a tout oublié, elle aussi, elle est une mère de famille qui fréquente le même café que notre pauvre héros (quel hasard !).
On s'amuse à repérer le retour des figures connues de la saga : Morpheus (sa pilule rouge et son dojo d'entrainement), l'Agent Smith alias le Boss, l'Architecte réincarné en psy d'Anderson, Niobe qui poireaute depuis 60 ans dans le "vrai" monde, Sati l'enfant indienne rencontrée dans Matrix Révolutions... Tous sont en mode auto-référence, dans des versions plus ou moins parodiques. Les tropismes d'un produit cinématographique moderne de consommation de masse sont moqués : personnages unidimensionnels (il faut voir le Mérovingien gueuler qu'il reviendra se venger dans le prochain film), affrontements manichéens, prédominance des images de synthèse, intrigue faussement alambiquée.
Et au service de quoi ? Le fil ténu sur lequel marche les scénaristes les oblige a chercher constamment un équilibre qui ne satisfait pas grand monde au final. Osciller entre les messages méta-philosophiques, la nostalgie, les commentaires sur l’œuvre dans son époque et les money-shots grand spectacle, ça provoque quelques satisfactions pour le spectateur réceptif mais confirme un sentiment de superficialité. Ce qui, comme je le disais en intro, est sans doute ce que voulait raconter ce Matrix Résurrections. 22 années ont passé depuis l'épisode fondateur, l'heure n'est plus à la critique du "système" et au choix entre réalité et illusion : les pilules rouges ou bleues ont depuis été assimilées politiquement. Le discours du film se déplace donc vers l'importance de faire sens pour retrouver ce qui compte au final, la sincérité d'une autrice qui veut nous parler d'une histoire simple et vraie : l'Amour éternel entre deux êtres humains.