samedi 8 décembre 2007

Black Album (1987 et 1994)

Dans notre série "Chroniquons un album de Prince qui aurait dû sortir il y a 20 ans", voici venu le temps de...




The Black Album (1987 et 1994)

Le Grind
Cindy C.
Dead on it
When 2 R in Love
Bob George
Superfunkycalifragisexy
2 Nigs united 4 West Compton
Rockhard in a Funky Place

Le coté Obscur.
Après avoir triomphé auprès du public et des critiques, restait encore un élément pour parfaire la légende de Prince. Il lui manquait l'album maudit, l'inaccessible au commun des mortels, le fantasme ultime du Fan. Ce sera chose faite fin 87, où la Warner s’apprête à faire un coup Marketing en sortant le nouveau Prince en mode furtif, une pochette noire sans annotation -pas même le nom de l'artiste-, et avec un soutien promotionnel minimal. 
L'excitation est à son comble, des "fuites" d'extraits de l'album sont savamment organisées, son nom de code est "The Funk Bible". Et puis, à une semaine de la sortie, pschitt ! Disparition ! "Circulez, y'a rien à voir", nous dit-on chez Warner. 
De là naît le mythique "Black Album".

Les raisons pour lesquelles Prince demanda son retrait restent encore aujourd'hui obscures. Si l'on s'en tient à la version officielle, il s'agit d'une soudaine prise de conscience que cette production était trop négative et que l'artiste ne souhaitait pas la laisser comme dernier témoignage de son oeuvre si jamais il devait disparaître. Un coup de fil au patron de Warner et voila les quelques centaines de milliers de CD et Vinyles déjà pressés qui se retrouvent à la benne.
La version officieuse est plus savoureuse, un bad trip à l'Ecstasy qui aurait donné un gros coup de flippe au Prince, lui collant des visions apocalyptiques seulement calmée par une poétesse du nom d'Ingrid Chavez, qui l'aurait convaincu de se débarrasser de l'oeuvre démoniaque. 

Le résultat est un énorme coup de pub et un des albums les plus bootleggés de tous les temps. Les versions Vinyle et CD originales sont très rares et les faux très nombreux. On ne verra sa sortie officielle qu'en 1994 chez Warner ("The Legendary Black Album") en édition limitée. 

Le "Black Album" est une réponse à la sophistication et à la préciosité empruntés des productions Princières précédentes, de "Around the World" à "Sign 'O'" en passant par "Parade". L'artiste se sentait-il débordé par la vivacité fracassante de la culture Hip Hop et Rap ? Nombre de ses collaborateurs disent qu'il a conçu cet album pour répondre aux critiques disant qu'il s'était éloigné de ses racines noires américaines. Ses rencontres avec des sommités du Jazz comme Miles Davis l'ont sans doute poussé à moins se "contrôler", laisser libre cours au feeling, ce qui donne une de ses productions les plus dépouillées et intenses.

Ce retour au Funk débridé mâtiné d'effluves Jazz s'accompagne de textes régressifs. On quitte le sérieux philosophique de "Sign 'O' the Times" pour replonger, avec une certaine jouissance disons-le, dans le festif et la provoc salace. "Le Grind", exemple parfait de party song, lance le méchant tempo. Il est suivi de "Cindy C.", une supplique groovy au Mannequin Cindy Crawford, auquel Prince promet de payer "le tarif habituel" pour "jouer" avec elle, autant la traiter de pute, direct. Il en rajoute dans le coté pervers-pépère : "I'm sure you're quite intelligent, A whiz at math and all that shit, But I'm a tad more interested in flyin' your kite tonight". 

Dans un autre versant de l'album Prince se fout carrément du Gangsta-Rap, avec un mépris affiché pour la plupart des rappeurs dans "Dead on it", et une parodie de films de mafia ambiancée avec fusillades en fond sonore, "Bob George". Ces compositions minimalistes, mécaniques presque uniquement basées sur les rythmiques, sont des charges musclées envers un courant musical totalement occulté par Prince. 
Dans "Dead on it" on l'entend se moquer des rappeurs "sourds comme des pots" incapables de chanter, qui déservent la cause ("What does that have 2 do with the funk ? Nothing, but who's paying the bills ?"). "Bob George" est un monologue de petite frappe qui s'en prend à sa petite amie (ou est-ce un tapin ?) de manière ultra-violente, pour une sordide histoire (elle a rencontré le Manager d'un certain... Prince, "That skinny motherfucker with the high voice"). La dispute dégénère en échanges de coups de feu avec la Police.

Les titres les plus excitants sur le plan musical sont les déjantés "2 Nigs United 4 West Compton", instrumental hommage sous acide à Miles Davis période "Bitches Brew" et "Superfunkycalifragisexy", qui semble être un compte-rendu de la fameuse première et unique expérience de Prince avec la drogue (la raison officieuse de l'abandon du "Black Album"). On y entend cette confession azimutée : "If u do 2 much, your skin'll be sensitive 2 the touch, The first person that touch u, u want 2 fuck / U take them 2 your crib and u tie them 2 a chair, Then u make funny faces til they get real scared / Then u turn on the neon, then u play with yourself, Til u turn them on".
La seule ballade de l'album est "When 2 R in Love", décevante et déplacée dans cette production rageuse. "Rockhard in a Funky Place" conclut l'album. Il s'agit d'un outtake du projet "Camille", on reconnaît la voix trafiquée speed up. Le style nonchalamment cool, passant des cuivres Jazz à la guitare électrisée, termine en beauté la sombre odyssée sur un bilan édifiant : "I just hate 2 see an erection go 2 waste". Voilà, tout est dit.

Le "Black" est une curiosité dans la trajectoire discographique Princière. C'est le premier "accroc" dans une ascension jusqu'alors maîtrisée et il sera suivi de beaucoup d'autres. 
D'un accès difficile, du fait de son aspect brut sans concession, avec son message anti-rap aujourd'hui démodé, l'album est communément désigné comme le "coté obscur" de l'artiste et celui-ci dit regretter l'avoir enregistré. Les fans ne regrettent pas de l'écouter, c'est le principal.

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