Lovesexy (1988)
Eye No
Alphabet St.
Glam Slam
Anna Stesia
Dance On
Lovesexy
When 2 R in Love
I wish you Heaven
Positivity
Euphorie mystique.
Enregistré dans la foulée de la crise de conscience après l'abandon du "Black Album" (voir Chronique précédente), l'album "Lovesexy" en est l'exact antithèse. Loin du bruit et de la fureur de sa production avortée, Prince y dévoile une vision glorifiant la pensée positive par le prisme religieux. Pour cela il abandonne tous les codes, en s'éloignant des genres musicaux "classiques" (pas de titres Rock ou Funk) pour inventer une Pop orchestrale mystique, et en osant casser son image pour s'acheter une pureté virginale. Le top du kitch s'affiche sur la pochette, un Prince nu et apaisé, posant parmi les orchidées, masquant un sein comme la Vénus de Botticelli.
Cette production est parmi les plus personnelles de Prince. Dès le premier morceau, "Eye No", il fait le trait d'union avec ses "égarements" passés et chante sa foi, "I know there was confusion lightnin' all around me, That's when I called His Name, don't you know he found me". On retrouve ces confessions dans "Anna Stesia" ("Save me Jesus, I've been a fool, How could I forget that You are the rule"), titre encore plus intime puisqu'il narre en filigrane l'épisode de sa rencontre avec Ingrid Chavez, sa muse l'ayant convaincu de renoncer au "Black Album" ("And then a beautiful girl the most, Wets her lips 2 say, We could live 4 a little while, If U could just learn 2 smile, U and I could fly away, fly away").
Les mélodies se font complexes, une symphonie de cuivres accompagne des violons synthétisés, souvent rejoints par de bonnes rasades de guitares. Cette fusion explose avec le single de l'album, "Alphabet St.", brillante parodie Pop avec son gimmick Yeah-Yeah-Yeah, élaborée sur une ligne rythmique très travaillée. C'est surtout avec son clip volontairement ringard, où l'on voit Prince danser sur le toit de sa voiture Thunderbird, bardé de signes Peace and Love et de trucages old school, qu'on se dit que cet artiste est définitivement à part. A ce sujet les amateurs auront remarqué ce texte passant de manière subliminale dans la vidéo : "Don't buy the Black Album, I'm sorry".
Les fulgurances harmoniques de "Glam Slam" confirment qu'on est bien en présence d'un concept-album. Mêmes sonorités, mêmes cadences et paroles de prédicateur en extase qu'on retrouvera dans les titres "Lovesexy" et "Positivity". L'artiste loue l'inspiration divine qui le transcende, reprenant ses monologues de personnages aux voix modifiées pour instaurer un dialogue avec son auditoire ("This thing we got - it's alive! It seems 2 transcend the physical", "This feeling's so good in every single way, I want it morning, noon and night of every day"). Ces trois titres sont l'ossature de l'album, une célébration dévote de la joie, qui parcoure l'ensemble de l'oeuvre en mêlant allègrement guitare électrique en sous-main et synthés rappelant un ensemble tantôt Classique, tantôt Jazz.
Le monde extérieur n'apparaît que lointainement, dans l'électrique "Dance On". Et le constat est amère, Prince y condamne l'hyper-violence ("Grenade Launcher roars in a television sky, Tell me how many young brothers must die") et propose de changer la société ("It's time 4 new education, The former rules don't apply").
A noter que dans sa version CD originale, "Lovesexy" n'a qu'une seule plage musicale de 46 mns. C'est une volonté de l'artiste, ayant conçu l'album comme un tout, une épopée cohérente aux enchaînements subtils. A ce sujet l'inclusion de "When 2 R in Love", déjà présent dans le "Black Album" mais évidemment plus à sa place ici, perfectionne le projet. Ce slow romantico-sexuel célèbre l'union physique dans un style Princier comme d'habitude très équivoque ("Let me touch your body 'til your river's an ocean"), signifiant que même si Prince est touché par une épiphanie sur la signification de sa vie il n'en reste pas moins toujours très porté sur la chose.
Avec cette production en dehors des courants musicaux à la mode, Prince s'éloigne du grand public mais gagne en sincérité. Sur "Alphabet St." il parvient une nouvelle fois à sortir un single imparable et unique, une porte d'entrée pour un univers Pop-Culte foisonnant. Le genre d'album-concept qu'on réécoute, encore et toujours, pour découvrir à chaque fois quelque chose d'inédit. C'est suffisamment rare pour faire de "Lovesexy" un album exceptionnel.