dimanche 19 novembre 2006

Emancipation (1996)

Dans notre série "Mais que faisait Prince il y a 10 ans", voici venu le temps de...



Emancipation (1996)

Disc One : 
Jam of the Year; Right Back here in my Arms; Somebody's Somebody; Get Yo Groove On; Courtin' Time; Betcha by Golly Wow!; We Gets Up; White Mansion; Damned If I Do; I can't make U love Me; Mr Happy; In this Bed I Scream

Disc Two :

Sex in the Summer; One Kiss at a Time; Soul Sanctuary; Emale; Curious Child; Dreamin' about U; Joint 2 Joint; The Holy River; Let's have a Baby; Saviour; The Plan; Friend - Lover - Sister - Mother/Wife
  
Disc Three : 
Slave; New World; The Human Body; Face Down; La La La Means I Love U; Style; Sleep Around; Da Da Da; My Computer; One of Us; The Love we make; Emancipation



La Liberté Retrouvée.
En 1996 l'artiste-qui-ne-souhaite-plus-qu'on-l'appelle-Prince célèbre sa délivrance des contraintes qui le retenait jusqu'à lors à son ancienne Maison de Disques, Warner Bros. Après trois années de lutte juridique le voila libre de produire un album chez la concurrence. Le label EMI saute sur l'occaz et publie "Emancipation", un imposant triple-CD.
Voila donc Prince, pardon O(+, brisant ses chaînes sur la pochette de l'album. L'ex-esclave (O(+ s'affichait en public avec le mot "Slave" inscrit sur la joue !) est dorénavant libre. Une fièvre créatrice, couplée à une série d’évènements dans la vie privée de l'artiste (mariage puis attente d'un enfant), qui le pousse à l'excès. "Emancipation" est un grand album malade, comme on a pu le dire de certains films. Une oeuvre mégalomaniaque, 36 chansons s'étalant sur 3 CD de 60 minutes et 12 titres chacun exactement. Une folie estampillée control-freak.

Cette pyramide musicale symbolise toute la production Princière des 90's, à savoir un capharnaüm où se côtoie pèle-mêle le pire et le meilleur, l'anecdotique et l'essentiel. On y trouve même quatre reprises, dont les fadasses "Betcha by Golly wow !" et "La la la means I love U", standards mièvres des 70's. 
La tonalité générale est à la froideur, une ambiance oppressante de sonorités étouffées, voire asphyxiées. Ce sentiment parcourt plusieurs titres de l'album, en particulier les chansons Pop comme "Get yo groove On" ou "Jam of the Year", trop près du sol pour réellement décoller, ou "We gets Up" et "Sleep Around", sans la saveur particulière qui habituellement enrobe les friandises Princières. 
Il leur manque le petit je-ne-sais-quoi qui imprime heureusement d'autres compositions, telles "Joint 2 Joint", "Style" et "Face Down", soubresauts stylistiques à l'exact opposé sur le spectre Princier. On y retrouve le Hip Hop sous tension, sans colorants ni additifs, souvent copié jamais égalé, avec cette habileté à faire varier son contenu mélodique au sein d'une même chanson pour surprendre l'auditoire. Ainsi dans "Joint 2 Joint", dont le refrain est un ambigu "Sex me... safe" mais dont les paroles ne laissent aucun doute sur les intentions du lascar ("if we're ever naked in the same machine i gonna lick it, baby, joint 2 joint"), on a droit à plusieurs ponts musicaux très différents qui vont jusqu'à la démonstration de claquettes ! 
"Style" liste, sur un tempo chaloupé accompagné d'un saxo énervé, tout ce qui est Classe/Pas Classe du point de vue de l'artiste (un indice : manger des rillettes et s'habiller en jogging n'en font pas partie). "Face Down" fait figure de règlement de compte musclé avec Warner Bros, sa désormais ex-Maison de Disques qui ne répond plus au téléphone, l'abandonnant comme un chanteur fini ("Somebody once told him that he wouldn't take Prince 2 the ringer, let him go down as a washed up singer, ain't that a bitch").

L'électro-Pop est une valeur sûre de l'album, avec les très réussis "White mansion" et "In this bed I scream", dans lesquels O(+ narre ses débuts ("sell my publishing? what a laugh! I don't know Bo, but i do know math") et revient sur sa période faste, les 80's, en lançant un appel aux ex-Revolution Wendy et Lisa avec cette pointe de mysticisme toujours en embuscade dans les couplets, laissant constamment planer le doute sur le sujet et la finalité du propos ("how do we ever loose communication? How do we ever loose each other's sound?"). Nettes et sans bavures, ces compos affichent une aisance redoutable pour manigancer des mélodies imparables, à l'abord facile, qui vous prennent dans leurs filets et vous obligent à la réécoute, ad libitum.
Tout comme "Emale" et le duo avec Kate Bush "My Computer", fantaisies accomplies sur les nouvelles technologies dans lesquelles Prince aborde des sujets alors naissants. Le premier est une histoire de vengeance sur fond de rendez-vous online. Le second raconte avec 10 ans d'avance les affres de la génération Y et la virtualisation des relations humaines ("I scan my computer, looking 4 a site, somebody 2 talk 2, funny and bright, i scan my computer, looking 4 a site, make believe it's a better world") 
Encore plus groovy, "Sex in the Summer" renoue avec des timbres qu'on entendait sur les albums de "The Time" dans les 80's. De la bonne vieille ambiance Funky réjouissante et insouciante où la seule préoccupation est de mater les filles sur la plage ("checkin' for bikinis, layin' in the sand, rub it like a genie, livin' while we can"). 

Comme sur ses albums précédents dans les 90's l'auteur excelle dans ses créations de Ballades Rock, "Right Back here in my Arms", "The Love we make" ou "Somebody's Somebody". Du romantisme échevelé comme Prince sait le faire, cash et sans arrière-pensées. Ainsi "Right Back here" est une simple supplique adressée à l'être aimé suite à une rupture ("I know u got a lot on your mind, that's why i wanna give you some time"). Dans "Somebody's somebody" le message est plus franc encore, une solitude pesante et douloureuse qui ne peut être comblée que par une rencontre ("there's a hunger deep inside me, oh! how the fire burns, I wanna give good love 2 someone and get good love in return"). 
Plus introspectives encore, la majorité des titres du second CD constitue un hymne à toutes les formes d'Amour ("Let's have a Baby", "Soul Sanctuary", "Curious Child", "Dreamin' about U", "The Holy River", "Friend - Lover - Sister - Mother/Wife"). Un album du matin, intime, où la voix se fait parfois murmure. Une déclaration à sa muse et femme, Mayte, et à leur enfant qui doit arriver quelques temps après la sortie de l'album. Malheureusement le bébé ne survivra pas à une maladie rare, quelques jours après sa naissance. Un drame que Prince n'abordera jamais en public mais qu'il aura certainement interprété comme un signe du Divin à son encontre. Il n'y aura pas d'autres tentatives d'avoir un bébé. 

La troisième partie de l'album s'ouvre sur des titres lorgnant vers les cultures urbaines, avec des styles musicaux longtemps désavoué par Prince comme le Rap ou la Techno. Mais "Slave", "New World", "The Human Body" ou "Da Da Da" peinent à susciter l'intérêt, malgré leurs formes singulières de prototypes hybrides. La faute, comme pour les titres Pop décevants cités précédemment, à leur aspect glacé, dénué d'authenticité, et pour tout dire ringard ! On salue les tentatives, mais on conseille encore et toujours à Prince de laisser cela aux professionnels du genre. Le titre final, éponyme à l'album et rappelant dans ses paroles la symbolique évoquée sur sa pochette ("break the chain!"), résume la thématique de l'ensemble : la liberté de faire ce que l'on aime, quitte à en faire trop ("when they tell me that's enough, that's when i wanna fill my cup 2 the top").

Emancipation est en définitive une véritable performance pour un artiste de l'envergure de O(+. Cet immense monolithe est certes un peu lisse vu de l'extérieur, moins flamboyant que la période 80's, mais c'est assurément la référence de fin de siècle de Prince car il synthétise ce flot obsessionnel, cette constante inspiration pour créer, son sacerdoce dédié tout entier à la Musique. 
Libéré des contraintes commerciales, Prince ne cherche plus à tout prix le single qui fera un Hit, il ne s'impose plus de limites arbitraires, s'autorisant à faire durer le plaisir quand c'est nécessaire (pléthore de titres de plus de 5 minutes) et à ressasser ses marottes (Dieu, l'Amour, l'Ego). S'il se perd parfois dans le labyrinthe, s'il croise de temps en temps du déjà-entendu ou des erreurs de casting, l'amateur éclairé y piochera à l'envi ses morceaux choisis pour se constituer sa propre émancipation idéale.

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